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“Accueillir les migrant.e.s” ou “accueillir la migration”?

par Herman Michiel
4 novembre 2018

Traduction par Gauche Anticapitaliste  de l’article  ‘Welkom migranten’ of ‘Welkom migratie’ ?

 

Les 10 et 11 dĂ©cembre 2018, sera solennellement signĂ© Ă  Marrakech au Maroc le TraitĂ© des Nations-Unies sur les migrations, un Pacte mondial officiel pour des migrations sĂ»res, ordonnĂ©es et rĂ©guliĂšres. Sous la prĂ©sidence du Maroc et de l’Allemagne, 190 États membres des Nations-Unies signeront un accord qui devrait apporter une rĂ©ponse aux situations migratoires souvent chaotiques des derniĂšres annĂ©es

Les États-Unis et la Hongrie se sont dĂ©jĂ  retirĂ©s des nĂ©gociations et, le 31 octobre dernier, l’Autriche a Ă©galement annoncĂ© qu’elle ne serait pas cosignataire ; et la TchĂ©quie du trĂšs rĂ©actionnaire BabiĆĄ semble Ă©galement vouloir se retirer. Parce que Trump, OrbĂĄn et Kurz n’en veulent pas, cela pourrait donner l’impression qu’il s’agit d’un accord favorable aux migrations, auxquelles les rĂ©gimes populistes de droite sont traditionnellement hostiles. Mais les choses ne sont pas si simples : il y a aussi, du point de vue de la gauche beaucoup Ă  dire sur cette Convention de l’ONU.

 

Un large consensus en peu de temps…

Tout d’abord, n’est-il pas Ă©trange qu’il n’y ait pratiquement rien eu Ă  entendre ou Ă  lire sur ce traitĂ© au cours des deux derniĂšres annĂ©es ? Bien que les dĂ©bats aux Nations-Unies (ONU) ne soient pas un sujet sexy, la migration est maintenant devenue un thĂšme trĂšs chaud
 et pourtant les nĂ©gociations se sont apparemment dĂ©roulĂ©es sans incidents notables. Ce n’est que maintenant, dans la phase finale, que quelques partis politiques xĂ©nophobes archi-rĂ©actionnaires tentent d’en profiter politiquement en clamant haut et fort leur rejet, mais pour le reste, il y a quasi unanimitĂ©. Au point que mĂȘme notre secrĂ©taire d’État Ă  l’immigration Theo Francken, n’avait au dĂ©part pas dit du mal de ce traitĂ© sur l’immigration !

La rapiditĂ© avec laquelle le traitĂ© a Ă©tĂ© conclu est Ă©galement surprenante. Officiellement, l’initiative a Ă©tĂ© prise Ă  l’AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale des Nations-Unies en septembre 2016, dans le cadre du suivi de la DĂ©claration de New York sur les rĂ©fugiĂ©s et les migrants. Le texte a Ă©tĂ© finalisĂ© en juillet 2018, de sorte qu’il sera signĂ© par presque tous les États membres des Nations-Unies cette annĂ©e. Comparez cela, par exemple, avec les nĂ©gociations en vue d’une convention contraignante des Nations-unies sur la responsabilitĂ© des entreprises multinationales qui ont commencĂ© en 20141, mais toujours sans aucune perspective d’une Ă©ventuelle conclusion positive
.


 mais un consensus sur quoi? 

L’étonnement devant la rapiditĂ© et de l’unanimitĂ© de sa conclusion est rapidement tempĂ©rĂ© lorsque l’on sait que le traitĂ© sur les migrations
 n’est pas contraignant. Cela vaut Ă©galement pour le Pacte mondial sur les rĂ©fugiĂ©s, qui a Ă©tĂ© nĂ©gociĂ© en parallĂšle avec le Pacte mondial sur les migrations et que nous n’aborderons pas ici 2.

Les gouvernements europĂ©ens peuvent bien signer ces textes devant les camĂ©ras, cela ne les engage pas Ă  grand chose. Lors d’un dĂ©bat Ă  la Chambre des reprĂ©sentants (25 avril 2018), le SecrĂ©taire d’État Francken a explicitement mentionnĂ© le caractĂšre non contraignant du TraitĂ© de migration comme l’un des points importants de la position belge.

Pour ce genre d’engagement sans obligation on dit souvent qu’il ne faut pas sous-estimer l’effet de gĂȘne ou de honte. Un ministre d’un État-membre europĂ©en, par exemple, hĂ©site Ă  se prĂ©senter Ă  un sommet europĂ©en s’il n’a pas libĂ©ralisĂ©, privatisĂ© ou dĂ©tricotĂ© socialement autant que ses collĂšgues l’avaient convenu de maniĂšre informelle dans la prĂ©paration. Mais il y a peu de chances que les ministres responsables des migrations aient honte, les uns des autres, s’ils ont accueilli moins de demandeurs d’asile que prĂ©vu, bien au contraire.

Cependant, contraignant ou non, un tel traitĂ© donnerait aux gouvernements l’occasion de se congratuler et de faire rĂ©fĂ©rence Ă  leurs nobles objectifs ; le rejet de l’Autriche a d’ailleurs Ă©tĂ© immĂ©diatement utilisĂ© par le prĂ©sident de la Commission europĂ©enne, Juncker, comme une occasion de le dĂ©noncer comme une trahison des valeurs europĂ©ennes. L’hypocrisie est donc l’atout principal : comme l’a dit Amnesty International, pendant que leurs diplomates nĂ©gociaient le traitĂ©, les gouvernements s’attaquaient aux ONG qui essayaient de sauver les migrants de la noyade.

En ce qui concerne le contenu du traitĂ© 3, il comprend 23 objectifs pour une meilleure gestion des migrations aux niveaux local, national, rĂ©gional et mondial, comprenant une foule de grands et beaux principes. Citons en vrac : – Les raisons de la migration forcĂ©e doivent ĂȘtre rĂ©duites afin que les gens puissent vivre en paix et dans la prospĂ©ritĂ© dans leur propre pays- la coopĂ©ration internationale doit permettre aux migrations de se dĂ©rouler de maniĂšre sĂ»re et ordonnĂ©e – les migrants doivent avoir accĂšs aux « services de base » dans les pays d’arrivĂ©e- leurs qualitĂ©s doivent ĂȘtre dĂ©veloppĂ©es davantage- toute discrimination doit ĂȘtre Ă©liminĂ©e, etc
 On y trouve parfois un sens frappant du dĂ©tail pratique, comme le fait d’éviter des coĂ»ts de transfert Ă©levĂ©s lorsque les migrants envoient de l’argent dans leur pays d’origine ! Ou encore : les migrants doivent pouvoir se rendre dans leur pays d’origine et en revenir en toute sĂ©curité ; il faudrait attĂ©nuer les facteurs nĂ©gatifs et structurels qui empĂȘchent les individus de trouver et de conserver des moyens de subsistance durables dans leur pays d’origine et les forcent Ă  rechercher un avenir ailleurs ; rĂ©duire les risques et les vulnĂ©rabilitĂ©s auxquels sont exposĂ©s les migrants aux diffĂ©rentes Ă©tapes de la migration en promouvant le respect, la protection et la rĂ©alisation de leurs droits de l’homme et en prĂ©voyant la fourniture d’une assistance et de soins ; tout en cherchant Ă  rĂ©pondre aux prĂ©occupations lĂ©gitimes des populations, le tout en reconnaissant que les sociĂ©tĂ©s subissent des changements dĂ©mographiques, Ă©conomiques, sociaux et environnementaux Ă  diffĂ©rentes Ă©chelles qui peuvent avoir des incidences sur les migrations ou en dĂ©couler ; il faudrait s’efforcer enfin de crĂ©er des conditions favorables qui permettent Ă  tous les migrants d’enrichir nos sociĂ©tĂ©s grĂące Ă  leurs capacitĂ©s humaines, Ă©conomiques et sociales, et facilitent ainsi leur contribution au dĂ©veloppement durable aux niveaux local, national, rĂ©gional et mondial.

En gĂ©nĂ©ral, ce traitĂ© est un catalogue d’intentions vagues et d’appels pieux, sans accords ni engagements prĂ©cis. De plus, de nombreuses dispositions semblent lĂ©gitimer les pratiques les plus rĂ©prĂ©hensibles dont nous sommes tĂ©moins aujourd’hui. Par exemple, l’Agence europĂ©enne de garde-frontiĂšres et de garde-cĂŽtes, appelĂ©e communĂ©ment Frontex, qui contrĂŽle des frontiĂšres de l’Union europĂ©enne, peut se vanter d’appliquer dĂ©jĂ  un traitĂ© qui dĂ©clare : « Élaborer des accords de coopĂ©ration technique permettant aux États de demander et d’offrir des moyens, des Ă©quipements et toute autre assistance technique pour renforcer la gestion des frontiĂšres » ; qui plus est « particuliĂšrement dans le domaine de la recherche et du sauvetage ainsi que d’autres situations d’urgence »  mais sans doute ne s’agit ici de rien de plus que d’une figure de style.

En ce qui concerne les sans-papiers (entrĂ©es ou sĂ©jour irrĂ©guliers), la question est posĂ©e de savoir si «   la rĂ©glementation actuelle est bien adaptĂ©e et si les sanctions sont Ă©quitables » En d’autres termes, du verbiage diplomatique ! Toujours en ce qui concerne l’enfermement des migrants, le traitĂ© recommande de ne s’en servir que « comme solution de dernier recours » ; et n’interdit mĂȘme pas explicitement la dĂ©tention des enfants, elle demande seulement que des alternatives soient recherchĂ©es, « en particulier pour les familles et les enfants ».

Vive la migration? 

Le succĂšs rapide du Pacte sur les migrants tient donc en grande partie au fait qu’il n’exige pas grand-chose tout en offrant aux gouvernements l’occasion de mettre une plume humanitaire Ă  leur chapeau. Cette impression est encore plus renforcĂ©e par le fait qu’en 1990, par exemple, une convention a Ă©tĂ© votĂ©e, Ă©galement au sein des Nations-Unies, pour protĂ©ger les migrants et leur famille 4. Dans ce cas ci, les signataires se sont engagĂ©s Ă  transposer les dispositions de la Convention en droit national. Mais aucun pays « dĂ©veloppé » ne l’a signĂ©, il a mĂȘme fallu attendre 2003 pour que vingt signataires (du Sud) se rĂ©unissent pour que la convention puisse enfin commencer



La grande nouveautĂ© avec ce Pacte sur les Migrations, c’est que non seulement elle prĂ©conise une meilleure protection des migrants mais que la migration est prĂ©sentĂ©e comme un phĂ©nomĂšne explicitement positif. C’est le point 8 de la Convention (notre traduction) : « Tout au long de l’histoire, la migration a fait partie de l’expĂ©rience humaine et nous reconnaissons qu’elle est une source de prospĂ©ritĂ©, d’innovation et de dĂ©veloppement durable dans notre monde globalisĂ©, et que ces effets positifs peuvent ĂȘtre optimisĂ©s en amĂ©liorant la gestion des migrations ».

De nombreux autres passages demandent Ă©galement que la migration devienne un rĂ©cit positif (y compris dans les mĂ©dias, qui sont dĂ©signĂ©s comme partie prenante dans la gouvernance de la migration), un rĂ©cit qui est inscrit dans l’Agenda 2030 des Nations Unies pour le dĂ©veloppement durable. Insensiblement, l’appel au respect pour le migrant Ă©volue vers une reprĂ©sentation de la migration elle-mĂȘme comme une Ă©volution bienvenue, voire mĂȘme comme une formule de dĂ©veloppement durable 5.

Le journaliste de gauche allemand Norbert HĂ€ring donne sur son blog « Geld und mehr »6, un historique des origines du Pacte qui relativise un peu cette ode Ă  la migration. Les racines du pacte remontent Ă  bien avant 2016 et ne se limitent pas gĂ©ographiquement Ă  New York, mais s’étendent jusqu’à
 Davos, le lieu de pĂšlerinage de l’élite Ă©conomique et politique mondiale. Permettez-moi de rĂ©sumer briĂšvement l’histoire de HĂ€ring.

À partir de 2007, des discussions intergouvernementales sur la migration commenceront au sein du Forum mondial sur la migration et le dĂ©veloppement (FMMD). En 2011, le Forum Ă©conomique mondial de Davos a commencĂ© Ă  s’impliquer et a demandĂ© que la mobilitĂ© de la main-d’Ɠuvre devienne une priorité ; dĂ©jĂ  en dĂ©cembre de la mĂȘme annĂ©e, le secteur privĂ© a Ă©tĂ© inclus en tant que partenaire au sein du FMMD. Le Forum Ă©conomique mondial associe Ă©galement la Commission europĂ©enne, ce qui dĂ©bouchera en 2013 sur la publication d’un document intitulĂ© The Business Case for Migration. Quelques dĂ©clarations Ă  ce sujet montrent clairement ce qui intĂ©resse la Voix du secteur privĂ© :

  • Des procĂ©dures d’immigration souples sont nĂ©cessaires pour faciliter la circulation des travailleurs hautement qualifiĂ©s entre les pays et les lieux d’affaires ;
  • L’importation de compĂ©tences peut combler temporairement des pĂ©nuries dans des secteurs spĂ©cifiques ;
  • La rĂ©forme de l’immigration devrait se concentrer sur la facilitation de l’immigration des compĂ©tences et des talents tout en protĂ©geant les droits des migrants ;
  • L’augmentation des compĂ©tences des migrants en fait de meilleurs consommateurs ;
  • La compĂ©titivitĂ© des entreprises, dont dĂ©pendent la plupart des Ă©conomies modernes, peut clairement ĂȘtre renforcĂ©e par les migrants et les migrations ;
  • La migration Ă©tait autrefois comprise comme une relation entre un individu et un État. Aujourd’hui, il est mieux compris comme une relation entre un individu et un employeur. [ !!]


Il Ă©tait Ă©vident que les souhaits des grandes entreprises ne pouvaient pas s’exprimer aussi clairement dans un texte de l’ONU, mais les entrepreneurs peuvent ĂȘtre satisfaits que leur rĂȘve d’une mobilitĂ© mondiale de la main-d’Ɠuvre ait Ă©tĂ© clairement reproduit dans une convention aussi « favorable aux migrations » de l’ONU. Il n’est donc pas Ă©tonnant que l’accord ait Ă©tĂ© accueilli avec enthousiasme par les grands patrons 7. Pas besoin d’ĂȘtre grand clerc pour deviner dans quelle mesure ces considĂ©rations ont jouĂ© un rĂŽle dans la politique (temporaire) du Willkommen d’Angela Merkel. C’est l’illustration qu’il est impossible aujourd’hui de comprendre la question de la migration en dehors de la question du travail, sans une comprĂ©hension adĂ©quate de la nature du capitalisme actuel, Ă  savoir la mondialisation nĂ©olibĂ©rale 8.

Et alors ?

La migration : une histoire positive ? Une contribution au dĂ©veloppement durable des pays pauvres ? C’est un conte de fĂ©es cynique de la classe entrepreneuriale. Car mĂȘme quand il s’agit plutĂŽt d’un petit groupe de personnes hautement qualifiĂ©es (informaticiens, techniciens, mĂ©decins
) ; leur Ă©migration reprĂ©sente une perte financiĂšre et sociale pour le pays de dĂ©part 9 mais c’est principalement cette fuite des cerveaux qui intĂ©resse le monde des entreprises occidental. Et il ne s’agit gĂ©nĂ©ralement pas de personnes qui, au risque de leur propre vie, tentent d’échapper Ă  la misĂšre. Car pour les dĂ©sespĂ©rĂ©s qui constituent l’essentiel de l’émigration rĂ©elle et pour lesquels des solutions devraient ĂȘtre Ă©laborĂ©es, le Pacte sur les Migrations n’a que peu ou rien Ă  offrir. Ce sont des « rĂ©fugiĂ©s Ă©conomiques » qui sont souvent prĂ©sentĂ©s comme des profiteurs et qui ne peuvent invoquer le statut de rĂ©fugiĂ© (et donc pas non plus celui d’une autre convention des Nations Unies, le Pacte mondial sur les rĂ©fugiĂ©s mentionnĂ© ci-dessus).

Comme Ă©lĂ©ment positif, le Pacte sur les Migrations fait Ă©galement rĂ©fĂ©rence Ă  l’argent que les migrants peuvent envoyer Ă  leur famille dans leur pays d’origine, ce que l’on appelle les transferts de fonds ; les pays signataires vont mĂȘme essayer de rĂ©duire les coĂ»ts de transfert Ă  3% (en encourageant un marchĂ© compĂ©titif et innovant des transferts de fonds). Les organisations de dĂ©veloppement soulignent par ailleurs que ce flux d’argent vers les pays en dĂ©veloppement dĂ©passe souvent l’aide au dĂ©veloppement occidentale ; ainsi un quart du PIB du NĂ©pal provient des transferts de fonds.

Quiconque se prĂ©occupe un tant soit peu du sort des familles pauvres du Sud est bien sĂ»r heureux qu’une partie des besoins de ceux restĂ©s au pays, puissent ĂȘtre satisfaits de cette maniĂšre, souvent au dĂ©triment du travail pĂ©nible de ceux qui font ici les sales boulots mais prĂ©senter et proposer cela comme forme de dĂ©veloppement durable ainsi que le fait le traitĂ© est indĂ©cent ; c’est comme si un gouvernement allait proposer la construction de bidonvilles comme une solution au problĂšme des sans-abri.

De plus, l’argent qui revient au pays de dĂ©part n’est qu’un aspect de la situation financiĂšre de la migration de travail. Par exemple, l’expert mexicain en dĂ©veloppement Delgado Wise estime que l’éducation et la formation des travailleurs qui ont Ă©migrĂ© du Mexique aux États-Unis ont coĂ»tĂ© deux fois plus cher pendant la pĂ©riode couverte par l’ALENA que le montant des envois de fonds. Et en conclusion, il affirme que la migration de main-d’Ɠuvre est une subvention du Nord par le Sud.

Nous sommes Ă©videmment bien conscients de l’exploitation spĂ©cifique de la main-d’Ɠuvre Ă©migrĂ©e. C’est pourquoi la seule attitude possible que nous devrions adopter Ă  l’égard des rĂ©fugiĂ©s et des migrants Ă©conomiques est celle de la solidaritĂ©.

Ou comme le dit le dirigeant syndical allemand Hans-JĂŒrgen Urban : « Pour la gauche, l’aspect de classe de la question migratoire doit ĂȘtre que la plupart des rĂ©fugiĂ©s doivent ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme appartenant Ă  une classe mondiale de personnes qui travaillent ou vivent dans la dĂ©pendance ; les intĂ©rĂȘts communs peuvent ainsi constituer la base d’une politique de solidarité ».

C’est une rĂ©ponse immĂ©diate Ă  ceux qui pensent que l’État-providence devrait ĂȘtre protĂ©gĂ© des migrants. Ici aussi, Urban indique une voie Ă  suivre rĂ©solument diffĂ©rente : l’expansion de l’État-providence, qui ne devrait plus uniquement reposer sur la nationalitĂ©. Et en ce qui concerne le financement, il dĂ©fend une « redistribution politique de classe », dans laquelle les grosses fortunes et les revenus Ă©levĂ©s contribuent plus au budget de l’État (une mesure qui n’est, bien sĂ»r, pas mentionnĂ©e dans le traitĂ© des migrations patronal de l’ONU). Avec une lutte de ce type pour l’élargissement de l’État-providence, la gauche couperait l’herbe sous le pied de ceux qui seraient tentĂ©s par les sirĂšnes xĂ©nophobes de la droite, qui commence Ă  vouloir dĂ©fendre l’État-providence aprĂšs l’avoir Ă  moitiĂ© dĂ©mantelĂ©. La gauche ferait ainsi une belle synthĂšse entre, d’une part sa tradition internationaliste et de l’autre, la lutte contre la casse sociale dans son propre pays.

Enfin, il me semble Ă©galement important que les organisations de dĂ©veloppement rĂ©flĂ©chissent de maniĂšre plus approfondie Ă  ce que devrait ĂȘtre le dĂ©veloppement durable. Dans une premiĂšre rĂ©action au projet de texte du Pacte sur les migrations, la sociĂ©tĂ© civile belge a heureusement soulignĂ© toutes sortes d’ambiguĂŻtĂ©s et de lacunes, ainsi que le manque de rĂ©alisation et de suivi, mais a fait une Ă©valuation positive de la teneur gĂ©nĂ©rale du texte : « Nous partageons le message fondamental selon lequel la migration contribue au dĂ©veloppement durable tant des pays d’origine que de destination ».

Or n’est-il pas dans l’intention de l’opĂ©ration de Davos que les organisations progressistes soient rĂ©cupĂ©rĂ©es par ceux qui, aprĂšs le capital et les marchandises, veulent aussi rendre la main-d’Ɠuvre mondiale indĂ©finiment mobile ? Ces organisations ne confondent-elles pas ici la dĂ©fense inconditionnelle des migrants avec la dĂ©fense de la migration ? Le dĂ©part forcĂ© de millions de personnes de leur pays d’origine a-t-il vraiment quelque chose Ă  voir avec le dĂ©veloppement durable ? Je ne crois pas, non.

Les progressistes d’aujourd’hui sont, bien sĂ»r, sĂ©duits lorsque les migrants sont prĂ©sentĂ©s sous un jour positif et qu’il y a respect et droits de l’homme, mais cela ne fait pas encore de la migration une histoire positive. Car si vous dĂ©fendez les habitants des bidonvilles, vous n’allez quand mĂȘme pas prĂ©senter leur abri en tĂŽle ondulĂ©e comme une solution durable au problĂšme du logement ?

 


A nouveau sur le pacte des Nations-Unies sur les migrations

Herman Michiel
25 novembre 2020

Traduction par Gauche Anticapitaliste de Is het VN-migratieverdrag nu goed geworden omdat uiterst rechts het slecht vindt?

[Auparavant, nous avons publiĂ© sur ce site un article de Herman Michiel, actif chez Ander Europa, dans lequel il examine de maniĂšre critique le Pacte des Nations-Unies sur les migrations. Dans l’article ci-dessous, Herman revient sur l’agitation qui a surgi entre-temps autour du traitĂ© et sur les rĂ©actions d’un certain nombre de mouvements et partis progressistes. En tant que Gauche anticapitaliste nous sommes d’accord avec ses critiques.]

Le Pacte des Nations-Unies sur les migrations est-il devenu bon parce que l’extrĂȘme-droite pense qu’il est mauvais ?

Lorsque mon article sur le « Pacte des Nations Unies sur les migrations » a Ă©tĂ© publiĂ© au dĂ©but du mois  [voir ci-dessus, « Accueillir les migrants » ou « Accueillir la migration » ?] , peu de personnes en parlaient, seul les mĂ©dias mentionnaient que l’Autriche annonçait Ă©galement de ne pas le signer, Ă  l’instar des autres gouvernements rĂ©actionnaires comme les Etats-Unis ou la Hongrie !

Mais quelques jours plus tard, c’est devenu un sujet d’actualitĂ©, et des titres comme « La crise gouvernementale sur le pacte migratoire plane dans l’air », « Haute tension au gouvernement sur le pacte migratoire » sont apparus dans les journaux belges
 Comment cela a-t-il pu arriver si soudainement ? Simplement parce que Bart De Wever (prĂ©sident de la N-VA), qui avait dĂ©couvert un peu tard qu’en tant que parti de droite dĂ©magogique, il raterait une occasion unique en ne se joignant pas au front du rejet, qui s’est ensuite Ă©tendu Ă  la Pologne, la RĂ©publique tchĂšque, la Croatie, la Bulgarie, l’Estonie, l’Australie et IsraĂ«l. Trois semaines avant la signature prĂ©vue Ă  Marrakech, les Pays-Bas, l’Allemagne et la Suisse remettent Ă©galement en question l’intĂ©rĂȘt du Pacte.

Contre toute Ă©vidence, le pacte non contraignant imposerait-il finalement trop d’obligations, mettrait-il en pĂ©ril la souverainetĂ© nationale, etc. Nous pourrions remplir ici des pages d’exemples oĂč nos politiciens signent des traitĂ©s contraignants sacrifiant la « souveraineté » sur l’autel de la « concurrence libre et non faussĂ©e », du libre-Ă©change, de l’Alliance de l’Atlantique Nord, et ainsi de suite. Cependant, il ne sert pas Ă  grand-chose de discuter de logique et de consĂ©quences avec des dĂ©magogues, car pour eux leur logique est correcte tant que la manipulation fonctionne.

Mais n’avez-vous pas l’impression d’ĂȘtre en mauvaise compagnie maintenant, Monsieur Michiel, parce que dans votre article, vous avez descendu le Pacte sur les migrations ? Selon vous, le pacte a Ă©tĂ© inspirĂ© par des lobbies patronaux, selon la N-VA il est trop positif pour les migrants, mais le rĂ©sultat est le mĂȘme : vous trouvez tout les deux que ce n’est pas un bon accord
.

Comme je n’ai pas reçu de rĂ©actions Ă  mon article, je dois donc me disputer un peu ici avec moi-mĂȘme, une sorte d’ersatz pour l’absence d’une culture du dĂ©bat digne de ce nom. Mais comme on dit en français: je persiste et signe, le Pacte des Nations Unies sur les migrations n’est pas un pas en avant pour Ă©viter les tragĂ©dies en MĂ©diterranĂ©e, pour rĂ©duire les raisons de la « migration forcĂ©e », pour donner espoir aux dĂ©sespĂ©rĂ©s.

Il s’agit presque toujours de « migration irrĂ©guliĂšre », et ce n’est pas de cela qu’il s’agit dans le pacte. En ce qui concerne les « rĂ©fugiĂ©s », un autre pacte des Nations unies y est consacrĂ© ; il est Ă©galement sur la table en ce moment, mais le sort et le calendrier de l’évĂ©nement ne sont pas clairs pour l’instant. Le Pacte pour des migrations sĂ»res, ordonnĂ©es et rĂ©guliĂšres qui sera adoptĂ© Ă  Marrakech en dĂ©cembre concerne essentiellement la migration de main-d’Ɠuvre, le transfert de main-d’Ɠuvre pour rĂ©pondre aux besoins des entreprises occidentales.

Je ne me demande pas ici si/combien cela pĂšse sur les salaires d’un travailleur occidental, mais c’est une erreur de prĂ©senter cela comme une contribution au dĂ©veloppement durable, comme cela est indiquĂ© avec insistance dans le texte des Nations-Unies et – malheureusement – comme le soutiennent les organisations de dĂ©veloppement progressistes dans la position de 11.11.11. en Flandre  10 .

MĂȘme le PVDA/PTB marxiste, pourtant bien Ă  l’aise dans la dĂ©nonciation des pratiques et discours de l’idĂ©ologie capitaliste, ne va pas au-delĂ  de « Un pacte insuffisant, mais qui va dans le bon sens » 11. Selon le PTB, « le Pacte vise Ă  empĂȘcher que les travailleurs migrants soient utilisĂ©s comme mains-d’Ɠuvre corvĂ©able Ă  merci par des employeurs de mauvaise foi » ; si tel Ă©tait le cas, la plupart des travailleurs ne sont-ils pas le jouet des employeurs de bonne foi ? Le PTB fait ses propres propositions sur la question des migrants 12, et si on les lit, on constate que le Pacte ne va pas du tout dans leur sens
.

J’admets volontiers que toute la lutte politique autour des rĂ©fugiĂ©s et des migrations pose de nouveaux problĂšmes Ă  la gauche. Il n’est pas Ă©vident de prendre, en mĂȘme temps, ses distances vis-Ă -vis des racistes xĂ©nophobes de droite qui rejettent le Pacte sur les Migrations en tant que stratĂ©gie dĂ©magogique, et vis-Ă -vis des groupes d’intĂ©rĂȘts capitalistes qui voient dans la migration le travail comme un paramĂštre complĂ©mentaire dans leur stratĂ©gie d’optimalisation de leurs bĂ©nĂ©fices.

Je pourrais encore comprendre le fait que certains approuvent le pacte parce que, par exemple, il vise Ă  rĂ©duire les coĂ»ts exorbitants que les travailleurs migrants paient actuellement pour envoyer de l’argent (« transferts de fonds ») Ă  leur famille dans leur pays. Toutefois, je ne pense pas que nous puissions nous permettre de payer le prix fort en nous laissant prendre en remorque par les Ă©lites de Davos qui considĂšrent la mobilitĂ© mondiale de la main-d’Ɠuvre comme une contribution au dĂ©veloppement durable. La gauche doit poursuivre sa solidaritĂ© inconditionnelle avec les migrants, quel que soit leur « statut », mais aussi continuer Ă  travailler pour une sociĂ©tĂ© mondiale qui ne pousse pas les gens Ă  fuir.

 

Voetnoten

  1. Voir Ander Europa, 23 octobre 2018,  De EU, voorvechter van de rechten van de 
 grote bedrijven (L’UE, championne des droits des 
 grandes entreprises).
  2. Cette division entre migrants et rĂ©fugiĂ©s est en soi problĂ©matique. Les nĂ©gociateurs ne se sont certainement pas aventurĂ©s dans un exercice ambitieux de rĂ©flexion sur les raisons pour lesquelles les gens du 21Ăšme siĂšcle fuient leur habitation, et la distinction souvent douteuse entre les « vrais » rĂ©fugiĂ©s et les « faux » rĂ©fugiĂ©s Ă©conomiques n’est pas remise en question.
  3. La version finale en anglais de la Convention sur la migration se trouve ici, celle de la Convention sur les réfugiés ici :
  4. Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, voir ici : ohchr.org/fr/professionalinterest/pages/cmw.aspx
  5. De tels textes sont toujours suffisamment larges pour pouvoir dĂ©jouer les critiques avec une contre-citation. Il dĂ©clare Ă©galement, par exemple : « Nous devons travailler ensemble pour crĂ©er les conditions qui permettent aux communautĂ©s et aux individus de vivre en sĂ©curitĂ© et dans la dignitĂ© dans leur propre pays ». Chacun est libre d’évaluer la portĂ©e d’un tel passage.
  6. Norbert HĂ€ring, 21 juillet 2018,  Migrationsabkommen Teil II: Was das Weltwirtschaftsforum mit dem UN-Migrationsabkommen zu tun hat Voir aussi N. HĂ€ring, 24 octobre 2018,  Das Migrationsabkommen als letzter Sargnagel fĂŒr die linken Parteien
  7. On se demande dans quelle mesure ces considĂ©rations ont jouĂ© un rĂŽle dans la politique (temporaire) Willkommen d’Angela Merkel.
  8. Voir l’article intĂ©ressant de l’expert mexicain en dĂ©veloppement RaĂșl Delgado Wise, The Migration and Labor Question Today : Imperialism, Unequal Development, and Forced Migration, Monthly Review, 1er fĂ©vrier 2013.
  9. Mais ce n’est certainement pas Ă  nous de moraliser Ă  ce sujet ; la libertĂ© personnelle (de voyager) ne doit pas ĂȘtre un privilĂšge occidental, et ces personnes peuvent aussi avoir de trĂšs bonnes raisons (professionnelles, politiques
) de partir.
  10. DerniĂšrement, dans une tribune dans De Standaard du 23 novembre 2018, le directeur Bogdan Vanden Berghe appelle la Banque mondiale, le FMI, l’OCDE et la Commission europĂ©enne Ă  prĂ©senter la migration comme une « force positive »
  11. Voir Comment un Pacte de coopération internationale en matiÚre de migration devient un sujet de division en Belgique ? https://ptb.be/articles/comment-un-pacte-de-cooperation-internationale-en-matiere-migratoire-devient-un-sujet-de
  12. https://ptb.be/articles/refugies-la-droite-nous-mene-dans-l-impasse-le-ptb-avance-des-solutions

 

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